.Mondialisation et industries culturelles, une approche globale
|
Doctorant, en Science de l’Information et de la Communication
Université de Nice Sophia Antipolis, laboratoire I3M
Mail : na_sah@hotmail.fr
Résumé : Cet article se propose comme une contribution académique consacré à l’énumération de concept tant controversé d’industries culturelles, de son évolution à l’intérieur du mouvement de mondialisation. En effet, La mondialisation de la culture est véhiculée à travers plusieurs dispositifs entre autres les industries culturelles. Celles-ci, et au-delà leur pluralité se présentent comme l’un des acteurs majeurs du processus de globalisation plus que bien d’autres types de production. Dans un monde, où la notion de culture fait davantage débat, où la production industrielle de la culture fait figure d’acteur majeur de développement de régulation des relations culturelles entre les pays et les cultures, les industries culturelles apparaissent comme un acteur incontournable à l’intérieur de ce débat, notamment grâce à la dimension, l’importance puis le pouvoir dont elles disposent. Cette situation alimente souvent les discussions autour d’un vieux débat qui trouve ses origines dans la question de l’influence des médias et des technologies d’information et de communication, porteuses d’uniformisation et standardisation culturelle et donc facteur d’homogénéisation ou au contraire de diversité et d’échange synonyme hétérogénéité ?
Theodor Adorno Mots clés : Mondialisation culturelle, industries culturelles, médias, technologies d’information et de communication, homogénéisation/hétérogeneité, hégémonie et contre hégémonie, Cultural Studies, transnationalisation, impérialisme Culturel.
Introduction
Le phénomène de mondialisation était
le fruit d’un long processus d’interactions généralisées survenues dans divers
domaines. Si à la base, la mondialisation fut avant tout financière celle ci suivant un processus
d’évolution et de mutation, ne tardera par à entraîner une généralisation
massive des interactions dans divers secteurs, dont notamment celui des
nouvelles technologies d’information et de communication. Ces dernières se traduiront
par des mutations majeures sous l’effet des bouleversements technologiques
qu’a connus et connaît de nos jours ce domaine d’activité. Des flux de tout
genre et de tout bord se déversent et submergent les quatre coins du globe,
même les endroits les plus reculés. Une tendance mêlée à une accessibilité
généralisée des moyens de l’information et de la communication. Un réseau
d’interactions jamais égalé tend à voir le jour dans un élan où la
global se mêle au local. Cette interaction sera consolidée par la mise en
place d’un système communicationnel global piloté par des industries de
service, appelées aussi industries « créatives », qui au fur et à
mesure vont dessiner une nouvelle carte du monde, particulièrement sur un plan
culturel, avec la mise en place de nouveaux rapports et de nouvelles règles,
traduisant ainsi un nouvel équilibre culturel mondial. Un équilibre, des
rapports et des règles souvent matérialisées et véhiculés sur le terrain grâce
aux industries culturelles. A partir de ce constat, il apparaît donc plus
qu’important de s’arrêter un moment sur le concept d’industrie(s)
culturelle(s), afin de définir ses contours et son évolution à travers
l’histoire. A bien des égards les industries culturelles s’imposent comme un
vrai phénomène social, entre tous les avantages ou les craintes qu’elles
peuvent inspirées, il n’en demeure pas moins que celles-ci sont au centre des
échanges culturels mondiaux. Nous pouvons même dire qu’elles se présentent
comme un outil régulateur du marché des relations culturelles mondiales, de
rapports entre le Nord et le Sud et même le Sud et le Sud, entre les cultures
dominantes et les cultures dominées. Cette situation alimente souvent les discussions autour d’un
vieux débat qui trouve ses origines dans la question de l’influence des médias
et des technologies d’information et de communication, porteuses
d’uniformisation et standardisation culturelle régie par une logique économique
donc facteur d’homogénéisation, voir de destruction de la culture, ou au
contraire de diversité et d’échange synonyme hétérogénéité ?
Industries culturelles, un concept ambivalent
Nous ne saurions mieux amorcer
cette partie de notre article qu’en commençant par expliquer pourquoi le
concept d’industries culturelles est important, c'est-à-dire pourquoi il est
important d’étudier les industries culturelles. Puis nous nous interrogerons
sur leurs enjeux, et les controverses que cela soulève.
L’une des principales raisons réside dans la nature particulière des produits que les industries culturelles fabriquent. Plus que bien d’autres types de production, les industries culturelles sont impliquées dans la fabrication et la circulation de produits qui ont une influence sur la manière dont nous comprenons le monde. D’après Eric Maigret, le terme le plus utile pour désigner ces produits est, le mot « textes ». Les débats sur la nature et l’étendue de cette influence sont, pour citer une étude importante du concept, « le cœur contesté des recherches sur les médias ». Les meilleures contributions à ces débats parlent de la nature complexe, négociée et souvent indirecte de l’influence des médias, mais il est une chose dont on ne peut douter : les médias ont une influence. Nous sommes influencés par des textes informationnels tels les journaux, les programmes d’information télévisés, les documentaires et les essais, les réseaux sociaux... Mais nous sommes aussi influencés par le divertissement. Les films, les séries télé, les bandes dessinées, la musique, les jeux vidéo, etc.… nous fournissent des représentations récurrentes du monde, jouant le rôle de reportages.
De manière tout aussi essentielle,
les industries culturelles contribuent à constituer notre vie intérieure et
privée et notre moi public : nos fantasmes, nos émotions, nos identités.
Elles contribuent fortement au sentiment de ce que nous sommes, de ce que cela
signifie d’être un homme ou une femme, français ou écossais, africain ou
arabe... Pour ces seules raisons, les produits des industries culturelles sont
bien plus qu’une simple façon de passer le temps, qu’une diversion par rapport
à d’autres choses plus importantes. Et la quantité de temps que nous passons à
expérimenter ces textes , quelque distraits que nous puissions être alors, suffit à faire
des industries culturelles un facteur de notre existence. (1) L’une des raisons pour lesquelles il est donc
important d’étudier les industries culturelles, c’est que cela peut nous aider
à comprendre comment les textes prennent la forme qui est la leur et comment
ils ont été amenés à jouer un rôle aussi essentiel dans les sociétés
contemporaines. Cependant, il est important de noter que la plus part des
textes que nous consommons sont mis en circulation par de puissantes firmes.
Ces firmes, comme toutes les entreprises, ont intérêt à faire des profits.
Elles veulent soutenir les conditions par lesquelles les entreprises en général
et elles en particulier peuvent
faire d’importants profits. Dans ce sens, la question de la concentration
articulée avec celles de la financiarisation et de la convergence est au cœur
des réflexions sur l’industrialisation et la marchandisation de la culture et
de la communication. La concentration industrielle n’est pas un mode
d’organisation nouveau ou exceptionnel dans ces domaines, il constituerait même
plutôt la règle. Des auteurs, tels qu’Antoine Hennion (1978) dans le cas de la
musique enregistrée, ou Bernard Miège (1984) dans le cas d’autres filières des
industries culturelles, ont d’ailleurs expliqué que ces domaines s’organisent
chacun autour, d’une part, d’un petit nombre d’entreprises ayant seules les
moyens d’organiser la diffusion nationale et internationale, de produire les
contenus les plus onéreux et, d’autre part, d’une myriade de petites
structures, plus souples et plus aptes à dénicher de nouveaux talents et
produisant un grand nombre de contenus qui pour l’essentiel, sont diffusés par
les grands acteurs. Ceux-ci, en maîtrisant l’aval, sont donc en mesure de
capter une part importante des revenus de l’ensemble de la filière et de
profiter du renouvellement permanent de l’offre financé en large part par les
petits acteurs vers qui sont externalisés une part significative des coûts et
des risques.
On comprend donc qu’autour de la concentration
s’entrelacent des enjeux
multiples qui focalisent depuis longtemps l’attention des experts, des
autorités de réglementation et de régulation, notamment de la concurrence, des
chercheurs attentifs aux questions de diversité culturelle et de géopolitique
culturelle, et bien sûr des citoyens attentifs au respect du pluralisme. Les
industriels, quant à eux envisagent la concentration comme l’une des clés de
l’acquisition de forts pouvoirs de marché,
(2) impliquant sans doute le souci de défendre certains intérêts
politiques, économiques et culturels…Cela soulève une question cruciale :
les industries culturelles servent-elles en définitive les intérêts de leurs
propriétaires et de leurs dirigeants, ainsi que ceux de leurs alliés politiques
et économiques ?
Il faut éviter de répondre de façon
simpliste à cette question vitale. Conformément aux aspects les plus utiles des
Cultural Studies, il convient de considérer les industries culturelles et les
textes qu’elles produisent comme complexes, ambivalents
et contestés.
Dans les sociétés où les industries
culturelles représentent d’énormes intérêts financiers, les firmes travaillant
dans ce secteur tendent à soutenir les conditions dans lesquelles les grandes
entreprises et leurs alliés politiques peuvent gagner, pour des intérêts
purement financiers de l’argent, c'est-à-dire les conditions permettant une
demande constante pour de nouveaux produits, un minimum de réglementation et
l’État en dehors des lois sur la concurrence, une relative stabilité politique
et économique, une main-d’œuvre prête à travailler dur etc… Pourtant, dans les sociétés contemporaines,
nombre de textes produits et diffusés par les industries culturelles ne
soutiennent pas ces conditions. Ils tendent souvent (et pas seulement de temps
en temps) à orienter leur public vers des modes de pensée qui ne coïncident pas
avec les intérêts du capitalisme, avec la domination structurée des hommes sur
les femmes, ou avec le racisme institutionnalisé. La culture populaire est pleine
de cynisme, de colère, de sarcasme ; on y célèbre un hédonisme paresseux.
En ce sens les textes médiatiques réfléchissent en général davantage à leurs
propres opérations.(3) Dominique Wolton estime que les
industries culturelles ne sont pas des industries comme les autres. Certes ce
sont des industries, mais leur objet, l’Information, la communication, la
culture leur donne un statut qui dépasse la logique économique. (4)
L’importance que suscite le concept
d’industries culturelles nous conduit forcément à nous interroger d’avantage
sur ce concept ambivalent. Sur son évolution dans la sphère de la
globalisation. Sur le rôle, puis le pouvoir que confèrent ces industries. A
nous demander comment elles opèrent. A travers quels moyens et outils se
manifestent-elles ? Comment arrivent-elles à façonner de nouvelles cartes
culturelles dans le monde ? Et en fin constituent-elles un moyen
d’hégémonie mondiale au service de cultures dites dominantes ou au contraire
une tribune d’échange et une chance pour la promotion de la diversité
culturelle mondiale ?
Industries culturelles, genèse et évolutions
Les industries
culturelles ont été mises en relief par plusieurs chercheurs. Mais il semble
que le terme « Industries culturelles » est apparu pour la première
fois dans le livre « La dialectique de la Raison » écrit par W.
Adorno et Max Horkheimer, deux sociologues d’un groupe qu’on appelle l’école de
Francfort, et publié pour la première fois en 1944 aux États Unis. Les auteurs
ont utilisé le terme d’ « industries culturelles » pour remplacer
celui de « culture de masse » qui désignait alors une forme de
culture qui émergeait spontanément des masses, comme la culture populaire.
Cependant, pour les auteurs, la culture de masse n’était n’étant que des consommateurs passifs
de cette culture. Ces derniers entendaient stigmatiser la reproduction en série
de biens culturels, qui met en péril la création artistique. « En
intégrant de force les domaines séparés de l’art inférieur et de l’art
supérieur, la grande culture, perd sa valeur émancipatrice. L’art inférieur
perd, avec son autonomie, son esprit de « résistance » supposée face
à la culture des élites ». Pour
les deux chercheurs, le terme d’industrie culturelle fait référence, d’une
façon générale, aux industries de production et reproduction de biens
culturels. Dans ce texte de 1944 les auteurs font référence surtout au cinéma,
à la radio et aux magazines. A travers l’observation et l’analyse de ces
nouveaux moyens de production et de diffusion de masse, les auteurs font le
constat d’une forme d’exploitation commerciale et de vulgarisation de la culture
opérées par ces industries uniquement à des fins commerciales. Cette forme
d’industrialisation de la culture est structurée, selon les auteurs, de façon
véritable, autoritaire, du haut vers le bas. La conséquence en est que
l’industrialisation de la culture a tué non seulement la culture, en la
réduisant à une marchandise comme les autres, mais également l’autonomie de
l’homme, son imagination, sa capacité à réfléchir et agir de manière critique
en détournant son regard des problèmes du monde qui l’entoure. Dans ce sens, en
utilisant comme exemple le film, Jérôme Bourdon
dit : « Le film sonore, surpassant en cela le théâtre des
illusions, ne laisse plus à l’imagination et à la réflexion des spectateurs
aucune dimension dans laquelle ils pourraient se mouvoir, s’écartant des
événements précis qu’il présente sans perdre le fil, ils interdisent toute
activité mentale au spectateur s’il ne veut rien perdre des faits défilant à
toute allure sous ses yeux ».
(5)
Dès 1935, dans un texte célèbre intitulé
« l’œuvre d’art à l’ère de la reproduction technique » le philosophe Walter
Benjamin avait attiré l’attention sur la
dimension technique (et seulement marchande) de cette transformation, en
soulignant combien la reproductibilité technique transformait la notion même
d’art. Depuis la Renaissance, écrit-il, l’œuvre d’art est perçue comme unique,
inaliénable, dotée d’une
« aura » et objet d’un
culte. La technique induit une transformation radicale. On pourrait dire, de
façon générale, que les techniques de reproduction détachent l’objet reproduit
du domaine de la tradition. En multipliant les exemplaires, elles substituent
un phénomène de masse à un événement qui ne s’est produit qu’une fois. En
permettant à l’objet reproduit de s’offrir à la vision ou à l’audition dans
n’importe quelle circonstance, elles lui confèrent une actualité. Ce que
Benjamin Walter appelle aussi « la liquidation de l’élément traditionnel dans
l’héritage culturel ». (6)
Walter Benjamin à travers le texte « l’œuvre d’art à l’époque de sa
reproductibilité technique » s’interrogeait sur les conséquences de la
reproduction technique sur l’œuvre d’art. On peut considérer cette réflexion
comme le début des débats sur les industries culturelles. Dans ce texte, en
utilisant comme exemple le cinéma et la photographie, Benjamin s’est interrogé
essentiellement sur l’avènement des technologies de reproduction, qui ont
permis la reproduction des œuvres d’art et qui les rendait ainsi accessibles à
un grand public. Pour lui, la prolifération des reproductions artistiques
supprimait la singularité des œuvres d’art, leur authenticité, leur unicité,
leur « aura ». Benjamin définit l’aura
comme étant « une singulière trame de temps et d’espace : apparition unique
d’un lointain, si proche soit-il. ».
Les techniques de reproduction ont
rendu ainsi les œuvres d’art accessibles à la masse. Selon l’auteur, ce que les
techniques de reproduction font perdre en aura aux œuvres d’art, loin que cela
soit une déchéance, elle le leur fait gagner en émancipation sociale et en
élargissant de leur diffusion. Les œuvres d’art cessent d’être confisquée par
une élite ou confinées dans des lieux de culte religieux, ses lieux
d’exposition se diversifient. Dans ce sens, Philipe Breton dit que : «
L’industrie culturelle, offre des biens culturels dont les contenus se
caractériseraient par leur valeur spectaculaire et la standardisation, par la
répétition et la pseudo-individualité et dont l’ « aura » aurait disparu sous
la pression de la rationalité technique à l’ère de la production mécanisée des œuvres d’art. Ainsi
donc, les sociétés deviennent masse ».
(7)
Dans son texte, même si Benjamin
considère de la destruction de l’aura, comme dangereuse pour la culture, il
n’est pas complètement pessimiste quant à l’avènement des moyens de
communication et des nouvelles technologies de production. Il s’oppose en cela
à son contemporain Theodor W. Adorno qui a porté un regard très alarmiste sur
le développement de la culture mass. Theodor W. Adorno remplaceront plus tard
ce concept (de culture de masse) par celui d’industries culturelle.
Contrairement à Walter Benjamin,
Adorno et Horkheimer pensent que l’industrialisation de la culture caractérisée
par la standardisation et la production en série des biens culturels, n’était
pas simplement le résultat des évolutions technologiques que subissait la
société, comme si l’industrialisation de la culture suivait le cours des ces
transformations-là mais, de sa fonction dans le système économique. Pour les auteurs,
même si les industriels essayent de légitimer l’industrie culturelle par la
technique, soit la nécessité d’avoir des moyens de production à grande échelle
pour pouvoir répondre aux prétendues demandes et besoins des consommateurs, la
vérité, selon Adorno et Horkheimer, est que tout cela répond simplement à une
logique économique. L’industrialisation de la culture servant à alimenter le
système économique et politique. (8)
Adorno et Horkheimer expliquent que « Sous le poids des monopoles, toute
civilisation de masse est identique, et l’ossature de son squelette conceptuel
fabriqué par ce modèle commence à paraître. Les dirigeants ne se préoccupent
même plus de la dissimuler; sa violence s’accroît à mesure que sa brutalité ose
se montrer au grand jour. Le film et la radio n’ont plus besoin de se faire
passer pour de l’art. Il ne sont plus que busines : c’est là leur vérité
et leur idéologie qu’ils utilisent pour légitimer la camelote qu’ils produisent
délibérément ».
Adorno et Horkheimer voient ainsi
la production industrielle de biens culturels comme faisant partie d’un
mouvement global de production, imposé par le système économique et politique
capitaliste, qui absorbe même la culture en la transformant en une marchandise
comme les autres. Ainsi les industries
culturelles, telles que le cinéma, la radio, la télévision, les journaux et les
magazines, présentent la même rationalité technique de production, soit le même
schéma d’organisation du travail, de management que celui des industries automobile,
par exemple. « De nos jours, la rationalité technique est la rationalité
de la domination même. Elle est le caractère coercitif de la société aliénée;
les autos, les bombes et les films assurent la cohésion du système jusqu’à ce
que leur fonction nivellatrice se répercute sur l’injustice même qu’elle a
favorisée ».
Les auteurs voient par exemple dans
le cinéma et la radio comme des moyens de communication ayant le dangereux
pouvoir d’imposer un discours comme une vérité absolue aux masses. La radio
plus précisément, de par son caractère gratuit, prend ainsi l’aspect
trompeur d’une autorité désintéressée et impartiale comme faite sur mesure pour
le fascisme. L’auteur s’appuie sur l’exemple de la radio et du cinéma, qui
durant la guerre ont servi à diffuser la propagande nazis, pour affirmer ses
propos. « La radio y devient la voix universelle du Führer…les nazie
eux-mêmes savaient bien que la radio achevait de donner forme à leur cause,
comme fit la presse d’imprimerie pour la Réforme ». Pour les auteurs, loin
de participer à la démocratisation de la culture, comme l’industrie culturelle
prétend, elle contribue non seulement à un appauvrissement voir à la
destruction de celle-ci mais également de l’homme autonome. « L’abolition
d’une culture pour privilégier définitivement bradée n’introduit pas les masses
dans les sphères dont elles étaient exclues auparavant, mais entraîne justement
dans les conditions sociales actuelles, le déclin de la culture fait progresser
l’incohérence barbare dans les esprits ».
Selon Adorno et Horkheimer,
l’industrie culturelle, tient sans conteste compte de l’état de conscience et
d’inconscience des millions de personnes auxquelles elle s’adresse; mais les
masses ne sont pas alors le facteur premier mais un élément secondaire, un
élément de calcul, accessoire de la
machinerie. Le consommateur n’est pas roi, comme l’industrie culturelle le
prétend, il n’est pas le sujet de celle-ci mais son objet. Adorno et Horkheimer pensent que l’industrie
ne s’intéresse à l’homme qu’en tant que client et employé et a en fait réduit
l’humanité tout entière, comme chacun de ses éléments, à cette formule
exhaustive. (9) Pour les
auteurs l’industrie culturelle est une industrie du divertissement. Cette
caractéristique étant la principale ruse utilisée pour séduire et aliéner les
masses, qui cherchent dans le temps de loisirs et dans l’amusement, à échapper
à la réalité quotidienne du travail automatisé. Tout est fait pour que
finalement les travailleurs se retrouvent, même dans les heures de loisir,
enveloppés par ce processus composé de technique et d’opérations standardisées
qui fait par conséquent de l’amusement une sorte de prolongement du travail.
« Le prétendu contenu n’est plus qu’une façade défraichie; ce qui s’imprime
dans l’esprit de l’homme, c’est la succession automatique des opérations
standardisées. Le seul moyen de se soustraire à ce qui se passe à l’usine et au
bureau est de s’y adapter durant les heures de loisirs. Tout amusement finit
par être affecté de cette maladie incurable ». (10)
L’amusement devient ainsi, selon
les auteurs une sorte de bain vivifiant que l’industrie du divertissement
prescrit continuellement aux consommateurs pour que ces derniers soient en
mesure d’affronter plus facilement la réalité. En outre, le divertissement est
vu comme une stratégie qui sert à
favoriser la résignation de l’individu, et rendre supportable la vie humaine.
On peut observer que le pessimisme
marque profondément les analyses d’Adorno et Horkheimer de la culture dans la
société industrialisée. Selon certains auteurs cette vision apocalyptique que
font Adorno et Hokheimer, de la culture et de l’homme lui-même, est en relation
d’une certaine façon avec le contexte politique des années 30/40. Le fascisme
en Europe, les deux guerres, dans lesquelles les avancées technologiques ont
étés utilisées pour la fabrication des armes, le nazisme, l’exil des auteurs
aux États-Unis, dans une période de fort développement des industries
culturelles américaines, ont ainsi contribué d’une certaine façon à cette
vision d’un monde désenchanté. Cependant les réflexions et analyses de l’École
de Francfort restent encore aujourd’hui d’actualité, au point que certains
auteurs parlent d’une certaine hégémonie de ces théories dans les recherches
concernant la culture contemporaine.
En résumé, la thèse d'Adorno et
Hokheimer est que le monde entier est structuré par l’industrie culturelle (la
culture de masse), laquelle est un système formé par le film, la radio,
la presse, la télévision « et
plus récemment par internet ». L'industrie
culturelle tend non pas à l’émancipation ou à la libération de l’individu, mais
au contraire à une uniformisation de ses modes de vie et à la domination d’une
logique économique et d’un pouvoir autoritaire ficelé selon des normes et
valeurs standardisées et industrialisées. C'est en cela que l'industrie
culturelle participe d'une anti-Aufklärung. Le phénomène ne concerne pas
seulement les pays totalitaires, mais également les autres pays, à commencer
par les sociétés libérales. Horkheimer et Adorno décrivent cette réalité en
ayant recours à la notion d’ « industrie culturelle ». Les éléments de cette
culture de masse posséderaient les caractéristiques d’une pure marchandise. Ils
seraient produits en fonction de leur valeur d’échange dans un marché, et non
pour leur valeur d’usage en tant que partie intégrante d’une expérience
esthétique authentique enracinée dans la tradition. Objet de manipulation, ces
biens culturels seraient imposés « d’en haut » par un système
industriel de diffusion dominé par l’éthos capitaliste, le règne du fétichisme
et la logique de la consommation et du profit. (11)
Si l’école de Frankfort à dressé
les premières prémices concernant le concept des industries culturelles, il
n’en demeure pas moins que celle-ci n’a pas fourni d’analyse des industries
culturelles au sens généralisée et généraliste et de leur articulation aux
cultures-traditions. Il fallut attendre que l’expression « industries
culturelles » s’impose à la fin des années 1970 pour qu’on s’interroge sur
elles, et d’abord qu’on en dresse l’inventaire. Les analyses s’accordent
facilement pour y inclure celles dont la technologie permettait de reproduire
en série des biens faisant partie à l’évidence de ce qu’on nomme la culture.
Les images, la musique et la parole font partie des cultures de la tradition.
En conséquence le cinéma, la production
de supports de musique enregistrée (disque, cassettes) et l’édition de livres
et de revues furent vite considérés par tous comme des industries culturelles.
Là s’arrête le consensus. Il est apparu que ce critère de contenu (discursif,
visuel, musical) était insuffisant et qu’il fallait le compléter par un critère
de support (papier, disque, bande magnétique, pellicule, et les appareils qui
vont avec, comme le câble, la télévision, les
satellites, et qui font l’objet d’une production industrielle.) (12) Ce double critère a
permis à des analystes comme Patrice Flichy, Bernard Miège ou Gaëtan Tremblay
de considérer que les industries culturelles présentent le profil
suivant : Elles nécessitent de gros moyens ; elles mettent en œuvre
des techniques de reproduction en série ; elles travaillent pour le
marché, ou, en d’autre termes, elles marchandisent la culture (culture au sens
large du terme) elles sont fondées sur une organisation du travail de type
capitaliste, c’est-à-dire qu’elles transforment le créateur en travailleur et
la culture en produits culturels.
Ces critères nous conduisent à
élargir considérablement le champ des industries culturelles. Nous y inclurons
la télévision, la photographie, la publicité, le spectacle, le tourisme de masse…
Définissons donc comme industries
culturelles les activités industrielles qui produisent et commercialisent des discours, sons,
images, arts, et toute autre capacité ou habitude acquise par l’homme en
tant que membre de la société, et qui possèdent à des degrés divers les
caractéristiques de la culture mentionnées ci-dessus.
Si cette définition des industries
culturelles cerne habituellement une branche d’activité des sociétés dites
« modernes et industrielles », le sens commun n’a pas l’habitude d’y
inclure les industries du vêtement, du meuble, du jouet, de l’alimentation, qui
sont des biens culturels s’il en fut, selon les termes mêmes de la définition.
En effet, lorsqu’on passe une frontière alimentaire ou vestimentaire forte, on
sait qu’on passe une frontière culturelle forte. De fait, si chaque culture-
tradition possède ses propres pratiques dans les domaines des techniques du
corps, de la culture matérielle, des mœurs… la production industrielle de biens
de consommation courante déverse sur le marché des objets qui, poussés par
l’expansion continue des échanges marchands jusque dans les recoins les plus
reculés da la planète, sont en concurrence avec les produits des cultures
locales. Cassettes et transistors contre balafon, flûte andine, xylophone ou
gamelan ; table et chaise contre natte ou tatami ; hamburger contre
pot-au-feu ou couscous ; chemise et pantalon contre pagne, burnous ou
paréo, hypermarché contre échanges villageois… En ce sens tous les systèmes
d’approvisionnement industriels de masse véhiculent et
« marchandisent » de la culture.(13)
Dès lors il nous semble que la définition donnée par l’UNESCO tend à être la
plus proche et la plus pertinente, non seulement parce qu’il s’agit d’une
organisation mondiale qui compte avec l’approbation d’une bonne partie des
acteurs du secteur culturel, mais également parce que cette organisation fut
l’un des premiers organes internationaux à s'intéresser sérieusement au
problème des industries culturelles et à leur impact sur la vie des habitants
du monde entier.
En effet, dans un document intitulé « Comprendre les industries créatives », l’organisation propose une série d’idées qui nous permettent de définir le concept d’industries culturelles. Selon ce rapport : « Le terme « industries culturelles » fait référence à des industries qui touchent à la fois à la création, la production et la commercialisation de contenus créatifs de nature culturelle et immatérielle. Les contenus sont généralement protégés par le droit d’auteur et ils peuvent s’apparenter à un bien ou à un service ». Concernant leur classification, ces industries englobent les activités de l’édition, de la production cinématographique, audiovisuelle et sonore, de l’artisanat et du design. (14
Mondialisation et mutations des industries culturelles
Évoquons, fût-ce brièvement, les
changements qui affectent actuellement culture de masse. A l’aube
d’un nouveau siècle, celui de la mondialisation, l’industrie des
communications, dans un système capitaliste en expansion constante, est soumise
à un processus de restructuration, à des transformations économiques et
institutionnelles, menant à une transnationalisation accélérée. Celle-ci se
traduit par l’apparition de corporations planétaires, (le empires Bertelsmann,
Murdoch, Berlusconi et Time-Waner..) dans lesquelles divers produits
médiatiques (films et télévision, presse et édition, musique et vidéo) sont
combinés. Ce processus s’accompagne d’une création de marché et de systèmes de
distribution transnationaux, rendus possibles grâce aux industries de service.
Ces évolutions et transformations, se sont davantage accélérées avec
l’avènement d’Internet qui est en train de transformer profondément les
industries de la culture, non seulement parce qu’il offre un nouveau canal de
diffusion aux biens culturels, qu’il pose de nombreux problèmes de rémunération
pour les différents acteurs de la chaîne de production, mais aussi parce que
l’ensemble des biens culturels deviennent beaucoup plus accessibles.
Ignorant les frontières établies et
bouleversant les territoires existants, un tel processus entraîne de profondes
conséquences politiques et culturelles.
La fréquence de recours à des expressions du type « révolution de
l’information » ou « postmodernisme
» témoigne d’une reconnaissance croissante de l’étendue des changements que
chacun peut observer dans la vie de tous les jours : remodelage fébrile de
l’environnement médiatique ; transformation technologiques (câble, satellite,
vidéo…) : transformation institutionnelles (nouvelles chaînes de TV,
démantèlement du monopole du service public…).(15) Outre le domaine politique et économique, ces
changements et mutations vont considérablement affecter le domaine culturel.
Cela va notamment se traduire par l’apparition de nouveaux dispositifs
transnationaux pilotés par des industries de service faisant germer de nouveaux
débats et interrogations symbolisant les enjeux que suscitent celles-ci.
La mondialisation est une
dimension centrale des mutations des industries de la culture et des médias, en
particulier avec les grandes libéralisations qui sont intervenues à partir des
années 1980 : libéralisation des échanges de biens et de services,
libéralisation des flux financiers, libéralisation et déréglementation
sectorielles (télécommunications, audiovisuel).
Le disque, la télévision, la radio, la photo et le cinéma connaissent
depuis vingt-cinq ans un bouleversement des bases technologiques de leur
activité, conséquence d’une grappe d’innovations datant des années 1970
(informatique, télécommunications, laser). Le passage très rapide des procédés
analogiques au codage numérique facilite la diffusion mondiale des productions
culturelles, la convergence des supports et des contenus ainsi que le
développement d’un vaste secteur de l’Entertainment. Néanmoins, il faut
souligner que la mondialisation des industries culturelles est très ancienne.
Dès leur naissance, elles ont toutes été conçues comme universelles. Pour ce
qui est de la photo, « Kodak » ouvrait des filiales dans divers pays dès les
années 1890, dont une en France en 1897. À sa création, « Hachette » faisait
déjà preuve d’une ambition planétaire. Cinq années après la première séance de
cinéma, les industriels français partaient à la conquête des États- Unis, et
des filiales américaines de « Gaumont et Pathé » existaient avant la première
Guerre mondiale. Des remarques similaires pourraient être faites pour le
disque, la radio et la télévision. Et même s’il est vrai que les moyens de ces
industries ont énormément changé et ont largement évolué avec le mouvement de
mondialisation, il existe cependant, un
trait commun dans tous les cas : l’intensité de la dimension symbolique. (16) La production
culturelle devient une sorte de front pionnier de l’expansion capitaliste dans
le monde entier, dans les pays développés ou non. Un outil d’exportation
d’autres cultures, d’autres modes de vie et d’autres visions, un outil de
propagande. A titre d’exemple, la part
de l’économie culturelle représente 5 à 7% du PIB, plusieurs millions de
salariés aux États-Unis. (17)
Cette dimension a été soulevée
vivement par les théories d’inspiration anthropologique et culturaliste des
Cultural Studies, où l’influence des moyens de communication est au centre des
rapports interculturels mondiaux. Cela se constate, grâce au pouvoir qu’elles
ont de construire des « cartes culturelles », des systèmes de références, des
paradigmes symboliques et par la suite la capacité qu’elles ont à les exporter
vers d’autres horizons. (18)
Cette convergence industrielle en matière de biens culturels ne laisse pas
indifférents les chercheurs. Avec la mondialisation, beaucoup craignent de voir
l’uniformité l’emporter sur la diversité. Cette peur s’exprimait déjà, dans
l’entre-deux guerres, face à la puissance des opérateurs et diffuseurs
américains. Elle est renforcée aujourd’hui par les potentialités infinies de la
révolution numérique et par les processus d’industrialisation et de
marchandisation de la culture. (19)
Les biens culturels industrialisés
submergent l’ensemble du globe. Le phénomène est récent. Il accrédite
l’illusion d’une période d’intenses changements qui a brutalement succédé à des
millénaires de stabilité au cours desquels des cultures dites « traditionnelles » vivaient en vase clos et
reproduisaient à l’identique un patrimoine ancestral. Corrélativement, des humanités
particularistes, sédentaires, accrochées à un terroir par leur « racines »
auraient été « déracinées » et jetées dans les turbulences de la modernité par
l’emballement de l’histoire au cours du XXème siècle. (20) L’on assista alors à
l’émergence d’une culture mondiale pilotée par des puissances expansionnistes
organisées selon des normes standardisées et industrialisées. Cette culture
constituerait un système spécifique en ce qu’elle est produite selon les normes
de la fabrication industrielle et diffusée par les industries de service auprès
de gigantesques agglomérats d’individus. Elle viendrait se surajouter aux
cultures déjà existantes, comme la culture humaniste produite par l’art et la
philosophie, la culture religieuse produite par les endroits de culte(s) ou la
culture nationale produite par l’école… Bien au-delà de cette dimension, cette
culture dépassera les frontières des grands agglomérats, pour atteindre les
coins les plus intimes dans un élan où le global vient se mêler au local. (21) L’information, la
culture et les échanges, explique Miège, en cette ère de mondialisation tendent
à devenir la source d’une néo-industrialisation fondée sur des services d’un
genre nouveau misant sur une relation très fine avec la demande des
consommateurs usagers. Quoi qu’il en soit, remarque encore le sociologue
américain Rifkin, nous avons pris l’habitude de payer, et parfois de payer cher
pour des choses qui jusque-là étaient gratuites : la sociabilité, les loisirs,
la culture, l’échange d’informations le sentiment d’en être, deviennent des denrées
de grande consommation réservées à ceux qui peuvent se les acheter. Dans la
société traditionnelle, elles avaient aussi un coût, mais échappaient à la
sphère marchande, qui les contrôle maintenant, tout en les offrant à profusion,
fantastiques, séduisantes et en apparence du moins, diversifiées comme jamais. (22) Ainsi la question
d’industrie comme culture apparaît-elle dans toute son ampleur. Ce n’est pas
l’industrie d’une culture-tradition parmi d’autres, mais dotée par l’industrie
d’une puissance de diffusion planétaire. L’industrie, en effet, est elle aussi
une tradition, enracinée dans l’histoire locale, mais qui, par le biais de la
technologie, des investissements et du marché, a vocation mondiale.
Cultural Studies, un nouveau regard sur les industries culturelles
Evolution et paradigmes
Comme nous l’avons soulevé en amont
les études sur les industries culturelles ont été à la base initiées par
l’école de Francfort et notamment grâce à deux chercheurs : Adorno Et
Horkheimer. Cependant la vision pessimiste et apocalyptique qu’ils dressèrent
concernant ces industries en omettant nombre de paramètres allait
rapidement ouvrir la voie à de nouvelles interrogations et problématiques
exprimées par l’apparition de nouveaux paradigmes et de nouvelles recherches et
théories survenus entre autres grâce au courant des Cultural Studies. Ces
derniers vont se pencher sur le sujet des effets de la culture de masse,
notamment dans le contexte actuel de la globalisation des industries
culturelles. Ils soulèvent ainsi de nouvelles visions et interrogations
exprimant un basculement vers une anthropologie de la globalisation, tout en
actualisant les problématiques d’hégémonie et de contre-hégémonie à ce nouvel
horizon culturel.
Les Cultural Studies naissent par
la volonté et la collaboration de trois chercheurs : Richard Hoggart, Raymond
Wiliams, Edward Thompson. De cette
collaboration, et inspiré par l’ouvrage The Uses ok Literacy (1957
Hoggard), va naître « The Center for Contemporary Cultural Studies ».
Le principal axe d’observation du Center for Contemporary Cultural Studies
était les relations entre la culture contemporaine de la société moderne,
depuis ses formes culturelles, les institutions, les pratiques culturelles
jusqu’aux relations de la culture avec la société et les transformations
sociales et culturelles.
Selon Wolf les investigations des
Cultural Studies sur le sujet des industries culturelles vont se diviser en
deux pôles : « d’un côté les travaux sur la production des mass-médias en tant
que système complexe de pratiques qui vont déterminer l’élaboration de la
culture et de l’image de la réalité sociale et de l’autre côté, les études sur
la consommation de la communication de masse en tant qu’espace de négociation
entre pratiques communicatives extrêmement complexe ». (23) Toujours dans ce sens, Umberto Eco, pense que les
effets de la culture de masse sont un sujet qui sépare les intellectuels des
Cultural Studies en deux groupes, celui des apocalyptiques et celui des
intègres. Le premier groupe est caractérisé par une vision, comme le nom
suggère, apocalyptique de la culture. La marchandisation de la culture étant la
principale cause de la destruction, suppression de la culture. Ces dernières
démontraient surtout le caractère autoritaire de ces industries de production
qui, poussées par une logique économique et politique, définissaient et
imposaient leurs produits culturels à un public passif (théorie de la
seringue). Le contenu de ces produits était, selon ces études constitué de
messages que contribuaient au contrôle et à l’aliénation des masses, ainsi qu’à
la destruction de la culture et à la reproduction des modèles idéologiques
dominants. Le deuxième groupe serait formé par ceux qui expriment une opinion
plus optimiste, et répondent en affirmant que « la télévision, le journal, la
radio, le cinéma,…permettent de mettre les biens culturels à disposition de
tous… ». Pour les intègres, la massification de la culture, contribue à une
sorte de démocratisation (industries créatives) de celle-ci. La reproduction des
biens culturels rend possible ainsi un élargissement culturel, à travers la
circulation de l’art et des cultures populaires.
Différemment des études sur les
industries culturelles réalisées jusque là et qui concentraient leurs investigations, d’une
façon générale, du côté de la production à travers une analyse économique de
ces industries, (Adorno et Horkheimer) les chercheurs du Cultural Studies vont
élargir leurs regards vers le côté de la réception, en prenant en compte aussi
le public et le contexte dans lequel il s’insère. En effet, suivant le
processus d’évolution mondiale, les Cultural Studies, vont ainsi déplacer leurs investigations de la
production vers les contextes de réception. Ils cherchent ainsi à démontrer
qu’il existe aussi des formes de résistance des masses envers ces modèles de
production. Les Cultural Studies vont prendre comme point de départ de leurs
investigations le public. Ils considèrent ce dernier et son contexte, comme des
éléments essentiels pour l’analyse de la culture contemporaine. Ils montrent
ainsi que le contexte de réception va jouer un rôle important sur la
signification du message. (24)
Les Cultural Studies vont stimuler
l’émergence des études de réception et par conséquent contribuer au développement
des techniques qualitatives d’investigation qui permettront de démontrer les
différentes formes d’interprétation qui peuvent avoir un même message. A
travers l’application de ces méthodes d’étude, ils vont démontrer que le public
n’est pas constitué des consommateurs passifs, mais qu’il a une participation
active dans la production de la culture. Dans son livre « The Use of
Literacy de 1957 », traduit en français par le titre « La culture du
pauvre », Richard Hoggard explique cela. Dans cet ouvrage Hoggard mène une
enquête où il étudie l’influence de la
culture diffusée par les moyens de communication de masse, dans la classe
ouvrière. A partir de l’observation du style de vie, de l’environnement
et les attitudes des gens du milieu ouvrier, l’auteur arrive à la conclusion
que les études réalisées, surestimaient l’influence des moyens de communication
de masse modernes sur les individus de cette classe-là. « Il ne faut
pourtant jamais oublier que ces influences culturelles n’ont qu’une action fort
lente sur la transformation des attitudes et qu’elles sont souvent neutralisées
par des forces plus anciennes. Les gens du peuple ne mènent pas une vie aussi
pauvre qu’une lecture même approfondie de leur littérature, le donnerait à
penser ». (25)
Même si dans cet ouvrage l’auteur
consacre son analyse aux publications destinées à la grande diffusion, selon
lui, les observations « d’autre formes de loisirs tels que le cinéma ou la
radiodiffusion commerciale conduirait à des conclusions identiques ». (26) Pour l’auteur, la
résistance de la culture populaire face aux sollicitations des moyens de
communication modernes s’explique par le fait que tous ce qui caractérise la
culture populaire, en outre, le contexte, les valeurs, les habitudes, les
croyances, les traditions, vont servir de base à l’interprétation de ces
sollicitations. Il dit que : « Au principe de toutes ces réactions
on retrouve toujours une énergie vitale qui permet aux membres des classes
populaires d’ignorer les pires sollicitations de la culture et du loisir
modernes ou même d’en amender les productions les plus douteuses par la
retraduction qu’ils leur font subir conformément à leurs habitudes et à leurs
modèles traditionnels ». (27)
De son côté, Michel de Certeau,
dans son ouvrage « L’invention du quotidien », pense que l’individu
face à la multitude de produits imposés ou mis à sa disposition, ce dernier en
s’appropriant de ces produits peut lui fabriquer un usage propre, contraire à
ce pour lequel il était conçu au départ (Théorie du braconnage). En analysant
l’ouvrage de Michel de Certeau, Véronique Bedin et Martine Fournier, comparent
le point de vue de De Certeau, à celui d’un chercheur qui se mêle « aux
pratiquants ordinaires de la ville grouillante », et qui devient à titre
illustratif un « simple marcheur ». « Que constate-il (le chercheur) une fois au ras du sol ? Notamment que
le marcheur peut toujours choisir son itinéraire et composer avec un relief
imposé. Malgré les contraintes architecturales, malgré les rationalisations et
les régulations urbanistiques, le marcheur s’invente une manière de cheminer.
Il détermine ses trajectoires, il peut se hasarder, improviser, prendre les
chemins de traverse, errer en fonction des noms de rues ou des symboles, se
laisser guider par ses pas. L’espace se pratique et s’invente. Il existe une
« énonciation piétonnière », une «rhétorique cheminatoire ».(28)Cette relation est
précisément définie dans le contexte hégémonique dans lequel il faut situer les
pratiques contemporaines de réception et de consommation des médias. Comme on
l’a vu, l’ethnographie du public des médias célèbre avec insistance la capacité
des spectateurs à construire leurs propres significations et donc leurs
cultures et leurs identités locales, et ceci malgré la dépendance pratiquement
totale de ces spectateurs vis-à-vis des flots d’images distribués par les
industries culturelles transnationales. Pourtant, cette célébration optimiste
du local peut facilement être contrebalancée par le scénario plus pessimiste que
prévoit Manuel Castells : « la coexistence d’un monopole sur les messages
détenus par les grands réseaux de distribution, et d’un rétrécissement
croissant des codes propres aux micro-cultures locales regroupées autour de
leur TV par câble ». En d’autres termes, la vitalité et la créativité des
publics à constituer leur propre culture ne sont-elles pas de remarquables
manifestations de ce que Castells appelle « tribalisme culturel » ? (29)
Les évolutions et changements que
suscite le phénomène de mondialisation
communicationnelle et culturelle vont rapidement ouvrir la porte à de
nouveaux paradigmes. C’est dans ce sens que les études des Culturel Studies sur
les industries culturelles vont entrer dans une nouvelle étape, traduisant la
nécessité d’un basculement vers une anthropologie de la globalisation tout en
actualisant les problématiques d’hégémonie et de contre-hégémonie à ce nouvel
horizon culturel. Cette nouvelle thématique sera particulièrement exprimée lors
d’un article publié par en 1990 par Ien Ang publié en 1990. Intitulé: « Culture and
Commincation : Towards an Ethnographique Critique of Media Consumption in
The Transnational Media System ». Cette
publication fut l’un des textes charnière qui annonce cette nécessité.
Actuellement professeur du Culturel
Studies à « l’University of Western Sydney en Australie ». Ien Ang
est aujourd’hui une figure majeure des Cultural Studies au niveau mondial et
elle incarne personnellement le cosmopolitisme et le mouvement de globalisation
qui a saisi les Cultural Studies en même temps que les industries culturelles
et les média-culture. D’origine sino-indonésienne, elle grandit et étudie au
Pays- Bas où elle se fait connaître dès 1985 par un livre publié en anglais sur
la réception du feuilleton Dallas, dans « Watching Dallas : Soap
Opera and Melodramatic Imagiantion », elle oppose aux discours
surplombants dénonciateurs de ce nouvel avatar de la culture de masse et de
l’américanisation des publics européens, une approche empirique et
compréhensive, typiquement Culturel Studies, des pratiques de réception des
publics. Ien Ang rappelle que le concept d’hégémonie tel qu’il a été proposé
par Stuart Hall avait précisément pour intérêt de ne pas reproduire les
dichotomies de la pensée critique et culturaliste, et d’inscrire l’analyse des
rapports de pouvoir jusque dans l’expérience populaire de la culture, jusque
dans les « textes » des industries culturelles. Cela conduit Ien Ang
à redéfinir la notion de « Culture » et à re-spécifier la notion
d’hégémonie en observant comment « s’interpénètrent » les dimensions
les plus locales saisies par la méthode ethnographique et les dimensions les
plus globales de la circulation des représentations culturelles.
C’est le cas dans le débat
concernant les identités « ethniques » des personnes apparaissant à la télévision en Malaisie,
dans le choix de la langue des médias aux Philippines, dans l’utilisation des
films vidéos dans les diasporas d’immigrés, dans la définition/construction
d’une culture « européenne » dans son rapport aux influences
extérieures américaines et du tiers-monde. Citant in fine le livre
l’Orientalisassions d’Edward Said (2004).
(30) Ang annonçait ainsi dans ce texte le basculement des études
Cultural Studies non seulement dans le mouvement naissant d’une anthropologie
de la globalisation que vulgarisera brillamment Arjun Appadurai (1994), mais
aussi et surtout dans le mouvement de la postcolonialité auquel participe
Stuart Hall lui-même (2007).
Dans un autre registre, dans un
autre texte publié par David Hesmondhalgh intitulé « Industries culturelles et Cultural Studies
(anglophones) », l’auteur participe lui aussi à cette analyse
autocratique créative des Culturel Studies à l’heure de la globalisation.
Cependant, au lieu de partir de cette grande spécialité Cultural Studies qu’est
l’ethnographie de publics, il fait porter son observation sur la production de
la culture de masse et en particulier sur les industries culturelles. L’auteur
David Hesmondhalgh, est professeur de Media and Music Industries à l’université
de Leeds en Grande-Bretagne ; il fait partie de la 3ème génération des
Cultural Studies britanniques, après Stuart Hall et David Morley. Étrangement,
alors que le modèle codage/décodage de Hall donnait autant d’importance à la
configuration des représentations médiatiques par les industries culturelles
qu’à leur configuration par les publics, les Cultural Studies ont délaissé
l’étude des industries culturelles pour se focaliser sur celle des représentations
et des publics. Sans doute, nous dit Hesmondhalgh, en raison de la domination, en
Grande-Bretagne comme en France, d’un déterminisme marxiste et francfortien qui
faisait penser qu’il était possible d’introduire de la contre-hégémonie en réception,
la question de l’évidente hégémonie de « l’industrie culturelle » (au
singulier) ne se posait pas. Or, tout le mérite de ce texte est de prendre
suffisamment au sérieux les rapports des Cultural Studies pour montrer en quoi
elles permettent de réintroduire de la complexité, de la conflictualité, de la
tension et de l’ambivalence dans l’analyse simultanée des industries
culturelles. (31)
En effet, Hesmondhalgh insiste sur ce point, définir
les industries culturelles comme des
industries « à risque » et leurs professionnels comme des
« créateurs symboliques » n’a d’intérêt que pour mieux rendre compte
de la somme de ces « textes » qui « ont une influence sur notre
manière de comprendre le monde ». Redécouvrant ainsi le principe créatif
de tension structurelle entre standardisation et innovation déjà montré par
Edgar Morin dans « l’Esprit du temps » en 1962 (Morin 2008),
Hesmondhagh rejoint également l’approche sociologique pragmatique développée
par Howard Becker à propos des « Modes de l’Art ». Il montre ainsi qu’en dépit des logiques de
concertation dans ce secteur fortement capitalistique, les industries
culturelles, loin de tendre à l’unidimensionnalité comme le dénonçait Herbert
Marcus demeurent intrinsèquement ambivalentes et non-homogène en dépit de leur
inscription dans la globalisation économique et culturelle. C’est ce qui le conduit in fine à défendre la
notion « d’industries culturelles » plutôt que celle, plus récente,
« d’industries créatives », en préférant le vocabulaire des sciences
sociales désignant l’observation empirique des actions qui fabriquent les
représentations collectives à la terminologie à la fois marketing et
prophétique d’une « nouvelle économie » fondée sur la connaissance et
les réseaux électroniques. (32)
Il est indéniable que les Cultural Studies vont apporter une nouvelle
dynamique sur le concept d’industries culturelles et sa compréhension. On
ouvrant les voies vers de nouveaux débats et paradigmes, ils consacrent ainsi
l’entrée des études sur les industries culturelles dans une nouvelle ère,
recentrant le débat autour de la réception tout en prenant en considération
l’environnement et contexte général, mondial et local des sujets étudiés. Cela
va se traduire par la naissance d’une
anthropologie de la globalisation prenant en compte le caractère transnational
des ces industries, sans pour autant délaisser complètement les théories
d’économie politique fondatrices des première débats sur ces industries. Cette
nouvelle thématique s’inscrit dans le nouveau champ de l’ethnographie du public
et des médias. Celui-ci va s’interroger avec insistance sur la capacité des
spectateurs à construire leurs propres significations et donc leurs cultures et
leurs identités locales, et ceci malgré la dépendance pratiquement totale de
ces spectateurs vis-à-vis des flots d’images et autres distribuées par les
industries culturelle transnationales. Donc toute la problématique des Culturel
Studies tourne autour de la question de la portée plus au moins réelle de cette
dépendance, de cette influence, et de la capacité des téléspectateurs à trouver
une réponse, un équilibre ou une concession entre des identités locales et une
culture globale, impulsée ou imposée selon des normes et valeurs standardisées
et industrialisées. Sans pour autant négliger le caractère plus au moins
capitaliste et standardisé des ces industries. Leur concentration aux mains de
quelques multinationales, ayant pour principal but le profit, la dimension
unilatérale des flux médiatiques, peut à bien des égards conduire à une forme
d’impérialisme culturel. D’où l’importance de s’attarder un temps sur cette
notion qui malgré son…. demeure d’actualité et centrale dans le processus de
mondialisation culturelle ou du moins pour une partie.
Mondialisation et impérialisme culturel
« Au
cours de l'histoire, le vainqueur a diffusé sa culture, il l'a entourée d'un
mythe et c'est lui qui a déterminé les structures de la société chez les
vaincus. Ainsi, la destruction culturelle des peuples dominés s'est-elle réalisée
depuis la cité grecque jusqu'à l'époque des impérialismes contemporains. C'est
ainsi que, dans le passé, Athènes et Rome ont été pour les pays riverains de la
Méditerranée ce que Paris et Londres furent pour les peuples colonisés. Ces
puissances imposaient, sans répit, leur culture aux autres et forçaient, s'il
le fallait par la violence, les autres nations du monde à les imiter et à
adopter leurs modes de vie. De nos jours, aux méfaits de la colonisation est
venu se greffer un phénomène social: la décolonisation est synonyme de dépotoir
culturel». (33)
A l’ère de la mondialisation,
toute société, toutes les civilisations, autrefois isolées ou autonomes, sont
en interaction permanente et de grande ampleur. Il existe désormais une
unité morale de l’humanité moderne. Différents types de biens circulent en
qualité croissante entre les différents groupes humains. Des marchandises (des
biens de consommation), mais aussi des techniques (des biens de production), et
des idées (des systèmes symboliques gouvernant à la fois le mode de
consommation et le mode de production de biens). Comme l’ont noté Needham et
Braudel et quelques autres, les biens de consommation et les techniques (les
inventions, les découvertes) voyagent plus facilement que les idées et les
idéologies.
Les systèmes matériels sont en
somme plus facilement transférables d’une culture à une autre que les systèmes
symboliques. Mais, dans la modernité, et au cœur du processus de
mondialisation, la circulation des techniques est de moins en moins séparable
de celle des idées et des valeurs culturelles. Hodgson est l’un de ceux qui ont
insisté avec le plus de force sur le caractère global et indivisible des
problèmes du monde moderne, lequel tient pour une large part à l’existence de
la technique, désormais mondiale par nature grâce au phénomène de la
mondialisation. (34)
Cette tendance s’est amplifiée davantage, au moment où les pays et cultures
dominants se sont vus doter de grandes machines et techniques à fabriquer de la
culture selon des normes et valeurs personnalisées et standardisées, et par la
suite ont eu le pouvoir de l’exporter via des industries de service, telle les
écrans de télévision ou d’autres moyens de communication comme internet et
le satellite, dans d’autres territoires du monde même très isolés, supposés
être à l’écart du progrès et de l’évolution humaine. Reste juste que ces
techniques sont produites, pour leur très grande majorité, dans quelques pays
« surdéveloppés », qui sont majoritairement occidentaux.
Dès lors, des flux
« culturels » à sens unique des pays du centre inondent la
planète ; images, mots, valeurs
morales, normes juridiques, codes politiques, critères de compétence se
déversent des unités créatrices vers les tiers mondes par les médias notamment
la télévision, mais encore journaux,
radios, films, livres, disques, vidéo et internet…L’essentiel de la production
mondiale de « signe » se concentre au mains d’une poignée de pays
(particulièrement du Nord), ou se fabrique dans les officines contrôlées par
lui, ou selon ses normes et ses modes. Bien sûr, on peut toujours objecter que
les productions culturelles n’ont jamais été aussi diversifiées. Mais sur le
fond, quelques multinationales et quelques grandes institutions,
majoritairement occidentales et plus particulièrement nord-américaines et
européennes imposent les tendances, fixent les grands canons esthétiques, en
légitimant les créations marquantes de leurs ressortissants et en imposant aux
autres de les suivre, s’ils veulent être reconnus.
De tous temps, les élites
aristocratiques des pays les plus puissants ont dominé la scène de la création
artistique, organisant, finançant et contrôlant les institutions académiques,
les lieux de légitimation, de formation, de sélection et de promotion des
artistes. Aujourd’hui, elles étendent aussi leur influence à la culture prise
au sens anthropologique du terme, les modes de vie, l’habitat, le vêtement, et
même les valeurs, la philosophie, les croyances et la conscience du monde. Un
seul monde tend à être un monde uniforme. Cette indifférenciation des êtres
humains au niveau planétaire est bien la réalisation du vieux rêve occidental.
En se conformant à « L’américain way of life », les êtres humains
réalisent l’achèvement du fantasme de Theodore Roosevelt d’américanisation du monde,
mais aussi celui de tous les impérialistes.
(35) Comme le dit Anatole France : « Le rêve d’une
plus grande Angleterre, d’une plus grande Allemagne, d’une plus grande
Amérique, conduit quoi qu’on veuille et quoi qu’on fasse au rêve d’une plus
grande humanité. Un monde uniforme taillé selon des normes et des modes de vie
et de consommation inspirés du modèle occidental capitaliste, traduit sur le
terrain par une volonté d’hégémonie mondiale. Une extraordinaire uniformisation
des modes de vie et de pensée et une mimésis généralisée. Cette société jet
society transnationalles trouve certains prolongements jusque dans les coins
les plus reculés de la planète ».
L’occidentalisation de l’autre, ces
peuples supposés sans histoire, sans culture,
si ce n’est folklorique. Le désir d’innovation ne peut que se diffuser
du haut vers le bas, des pôles développés vers les nations attardées.
L’expérience du marketing industriel, qui a fait ses preuves dans l’entre deux-
guerres auprès des agriculteurs américains en les amenant à adopter des
« attitudes » (recours aux engrais, aux technologies et modes de
culture) est supposée porter ses fruits sous d’autres latitudes dans les
domaines les plus variés, de la planification familiale aux processus d’apprentissage.
Au centre de cette conception linéaire de sortie de sous-développement trône
une idée et une volonté de domination, d’aliénation et d’hégémonie mondiale, soutenue par des cultures
dominantes selon des normes et valeurs qui prétendent incarner, progrès et
modernité. La culture dite traditionnelle ne commence son intégration à
l’archétype qu’en satisfaisant aux standards minima d’exposition à ces valeurs
et normes. À partir de ce contexte, peut-on vraiment parler d’impérialisme
culturel exercé par des cultures dominantes via des industries culturelles
envers des cultures dominées ? Comment se traduit-il ? Et dans quelle
perspective opère-il ?
L’impérialisme culturel
Notre époque est dominée par le poids des relations
interculturelles à travers les médias. Ces relations culturelles se placent au
sein d'un contexte général de domination, de dépendance et d'hégémonie. Les
influences culturelles sont utilisées pour frayer le chemin à des relations
économiques et les NTIC en sont le support privilégié. L'information est
devenue un produit industriel coloré que l'on déverse sur les cultures dominées
parce que celles-ci sont de plus en plus exclues de la production culturelle
industrielle. (A titre d’exemple, plus de la moitié de la production
cinématographique dans le monde est concentrée en majorité aux mains de quelque
groupes et puissances, Devenue consommatrices sans aucun pouvoir de
rétroaction, ces cultures sont dépossédées mentalement de leur identité propre
à travers le processus d'uniformisation des cultures. Le vertigineux progrès
que connaît le monde présent semble avoir pour toile de fond le brassage
culturel. Toutes les entreprises humaines se dessinent sur la base de la
culture à telle enseigne que cette dernière est devenue pluridimensionnelle.
Toutefois, dans leur diversité, les cultures cherchent à se compléter les unes
les autres. La dimension sociale de la réalisation de l'homme fait
qu'aujourd'hui aucune culture ne peut prétendre vivre en autarcie. Cependant,
au rendez-vous du donner et du
recevoir culturel, les choses semblent ne plus marcher comme prévu. Le
choc culturel, ce sentiment de
profonde désorientation qu'éprouvent les personnes et les groupes mis soudainement
en contact avec un milieu culturel dont les traits se révèlent inconnus,
incompréhensibles, menaçants , a provoqué dans
nos sociétés modernes des grandes mutations laissant place soit à l'érosion des
valeurs morales, soit à la perte d'identité culturelle, à la dépersonnalisation
et au déséquilibre interne qui rendent difficilement maîtrisable l'avenir
culturel de certaines cultures notamment dites locales et traditionnelles. (36) Ce processus se
définit d’après des chercheurs (comme Edward Saïd) comme une nouvelle forme
d’impérialisme culturel, opéré et imposé principalement par des industries de
service.
Pour l’anthropologie,
l’impérialisme culturel dans sa forme la plus classique est une « forme
d’ethnocentrisme politiquement opérant ». C’est un ethnocentrisme devenu
une idéologie qui se présente comme voie de salut pour les groupes subalternes.
L’idée de base est que les peuples « autres » ou se mettent « à
la page » avec la civilisation occidentale ou bien sont indignes d’être considérés
comme entités respectables. Pour les pionniers de l’économie politique de la
communication et de la culture, l’impérialisme culturel s’exprime par un
processus où le pouvoir de dominance, de persuasion symbolise un rapport
unilatéral émanant d’en haut dans le but et de contraindre et de soumettre
l’autre. Il se caractérise par l’ensemble des processus par lesquels une
société ou une culture est introduite au sein du système mondial moderne et la
manière dont sa couche dirigeante est amenée, par la fascination, la pression,
la force ou la corruption, à modeler les institutions sociales pour qu’elles
correspondent aux valeurs et aux structures du centre dominant du système ou à
s’en faire promoteur. (37)
Cependant, l’intensité et le pouvoir à travers lequel s’exerce cet impérialisme
actuellement à l’intérieur du phénomène de mondialisation, notamment par le
biais des industries culturelles n’implique même pas l’intervention des
dirigeants afin de modeler ses institutions sociales. Pour cause ces industries
sont même devenues des institutions indépendantes se trouvant au centre de
cette intégration.
Parler de système mondial moderne
implique obligatoirement de notre part l’intégration de la dimension
symbolique, qui accompagne cette intégration, notamment sur un plan
socioculturel. Dans le sens où, dans la modernité, et au cœur du processus de
mondialisation, la circulation des techniques et des systèmes est de moins en
moins séparable de celle des idées et des valeurs culturelles. Cette dimension
a été mise en relief par divers sociologues tels que : Pierre Bourdieu et
Loïc Wacquant. Ces derniers, insisterons au terme d’un constat sur le fait que
« pour le première fois dans l’histoire, un seul pays se trouve en
position d’imposer son point de vue sur le monde au monde entier » ;
« comme les dominations de genre ou d’ethnie, l’impérialisme culturel est
une violence symbolique qui s’appuie sur une relation de communication
contrainte pour extorquer la soumission et dont la particularité consiste ici
en ce qu’elle universalise les particularismes liés à une expérience historique
singulière en les faisant méconnaître comme tels et reconnaître comme
universels ».
L’impérialisme culturel est avant
tout affaire de la mécanique des forces d’un système de pouvoir, d’un engrenage
de rapports inégaux d’où résulte l’hégémonie d’une vision du monde. D’où
l’importance de revenir à l’idée matérielle et systémique de la culture comme
médium symbolique structurant. (38)
L’impérialisme culturel ne se traduit donc pas seulement par des manifestations
des rapports de force dans le domaine des médias et de la culture de masse,
même si, dans la configuration de la relation néocoloniale avec les peuples
« autres », ces dispositifs occupent une place de plus en plus
stratégique. Ce sont des modèles d’institutionnalisation des technologies de
communication, les modes d’organisation spatiale, les paradigmes scientifiques,
les schémas de consommation et d’aspiration, les modes de gestion de
l’entreprise, des pays, les alliances militaires. Ou encore le droit comme le
montre la naturalisation du droit contractuel taillé sur la pensée juridique
états unienne et lingua franca régissant les rapports d’affaires
internationaux. (39) En filigrane de tout cela se joue la capacité
des puissants à diffuser à tous, leurs représentations du monde. Qu’est ce que
l’idéologie dominante, si ce n’est cette conception de la société moderne, des
valeurs de la culture, de l’histoire, des différences, de la justice, du droit
des hommes et des femmes, bref, ce regard sur le monde que les classes
dirigeantes de pays les plus puissants, à leur tête les États-Unis d’Amérique,
élaborent à partir de leur position sociale privilégiée, qui depuis toujours
occupent une place conjuguant le pouvoir et ses attributs, le prestige, les
facilités et le confort de l’argent, et qu’elles partagent le mieux avec les
masses dominantes.
L’on comprend alors, que les
classes dominées aient une propension à s’identifier aux dominants, à s’efforcer
de leur ressembler. On comprend que les peuples les plus lointains rêvent de
l’univers nord-américain, de consommer leurs produits et d’adopter leurs modes
de vie. Les élites des pays les plus pauvres construisent des villas sur les
modèles occidentaux tels qu’ils sont représentés dans les séries à grande
diffusion et s’efforcent d’adopter leurs modes de vie, tandis que la jeunesse
urbaine se saigne pour acheter les tenues vestimentaires des héros de sitcom. (40)
Ce processus aboutit à la dépossession
de soi-même. La culture ou le groupe envahi ne peut plus se saisir lui-même
autrement que par les catégories de l’autre. L’idéologie de la science, de la
technique, du progrès, du développement et de la démocratie se trouve ainsi
véhiculée par ce canal, directement, ou « incorporée » aux autres
messages. Dès lors, à force de constater, il faut souligner que, à
l’intérieur de ce processus « ka » la rencontre de deux cultures ne
se fait pas à égalité de jeu. La plus puissante gagne sur tous les tableaux.
Elle bénéficie des rapports technologiques et scientifiques de l’autre, mais en
outre elle domine politiquement autant que symboliquement et contrôle les
réseaux commerciaux, de sorte qu’elle se trouve dans une situation plus
favorable pour imposer ses habitudes, ses façons de faire et de voir dans tous
les domaines, notamment là où l’évaluation rationnelle des performances joue
peu : le savoir être, l’éducation, les valeurs, la mode, l’esthétique et
la création artistique.
A efficience égale, tout ce qu’elle
fait, tout ce qu’elle produit et consomme est
généralement jugé supérieur par les dominés. Et elle l’est,
objectivement, dans les rapports sociaux, parce que dans la course aux places
et aux situations les plus avantageuses, ceux qui veulent grimper dans la
hiérarchie n’ont pas d’autre choix que d’intégrer et se faire admettre dans le
sérial des élites, issues de la culture dominante. La culture des populations
les plus puissantes est toujours séduisante pour les dominés, non seulement
parce qu’elle dispose de toute la puissance politique, symbolique et
commerciale des dominants pour s’imposer, mais aussi parce qu’objectivement, là
encore, elle s’exprime et se matérialise dans des modes de vie séduisants,
effectivement plus amples, plus faciles, plus confortables, plus agréable, liés
à la position privilégiée de ces populations. Et la culture dominée, fascinée
par celle des dominants, n’a pas le choix, elle se plie, se soumet selon le
principe d’acculturation amplement décrit par les anthropologues (Redfield,
Linton et Herskovits, J.F. Bare, Roger Bastide...) (même si, bien sûr, elle ne
s’y dissout pas totalement). L’acculturation achevée est la réduction à
l’unité, à l’uniformisation culturelle par voie de déculturation. Une définition
que des anthropologues testent au cours de la décennie 1970 en étudiant le rôle
des sociétés multinationales dans la construction de modèles durables de
consommation sous couvert de la modernité de leurs produits, plus spécialement
dans le Tiers-Monde.(41)
Il existe de ce point une asymétrie fondamentale entre l’Occident et les autres
cultures : la production des techniques et biens culturels entraîne en
Occident une modernisation « endogène », tandis que la modernisation
des civilisations et cultures non occidentales est dans une très large mesure
« exogène » : les techniques étant importées, leur mode
d’emploi doit être appris et intériorisé
dans un code culturel autre que celui où elles sont nées. Les conséquences de
l’importation des techniques sont d’autre nature que celles de leur
intériorisation « endogène ».
Hodgson, pense que toutes les sociétés modernes, doivent faire
face à une dislocation de la relation des individus aux modèles sociaux
existants : une rupture (disruption) des traditions culturelles… Mais en
Occident cette rupture des traditions, les traits nouveaux de la vie technique
se sont développés à l’intérieur des traditions anciennes de cette région. (42) Ce n’est pas à
dire que l’Occident soit « moderne » par nature, ou que les autres
cultures soient « traditionnaliste » par nature. L’Occident a reçu
des autres civilisations de nombreuses innovations et découvertes. En Occident,
depuis plusieurs siècles, l’intégration des éléments modernes dans les
différents secteurs de l’héritage culturel s’est faite sans trop de
difficultés. Il n’en va pas de même pour d’autres cultures dites
traditionnelles, où les ruptures sont plus problématiques, parce que plus récentes
et venues de l’extérieur. Avec la « Grande Mutation » représentée par
la modernité, ces cultures sont soumises
à des tensions plus rudes que celles que rencontre ou a rencontrées l’Occident.
Les grandes traditions pré modernes sont désormais locales, alors que la
modernité est mondiale.
Il est donc évident que
l'impérialisme culturel est devenu aujourd'hui l’une des multiples formes de
domination culturelle des peuples, et l'information transnationale un élément
ou un dispositif central des politiques culturelles à l'échelle mondiale. Ce
processus d'internationalisation de la culture s'opère donc selon les rapports
de force existant dans les secteurs des industries culturelles. L'impérialisme
culturel s'illustre davantage à travers les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Elles
sont destinées à ouvrir le marché à de nouveaux produits, de nouveaux intérêts.
Elles dressent de plus en plus le portait d'un nouveau type d'homme/femme dans
un nouveau type de milieu où les cultures dominées seront de plus en plus
dépaysées ou marginalisées.
Or, si les rapports culturels
mondiaux illustrent un processus d'internationalisation culturel opéré
particulièrement par le biais des NTIC, il symbolise surtout des rapports de
forces dicter par des cultures dominantes dites modernes et universelles,
envers les cultures dominées dites indigènes. Ces rapports se traduisent sur le
terrain grâce à des méga entreprises ou mégastructures (Williams) entre autre les industries culturelles. Ils
impliquent souvent pour ces dernières une obligation d’intégration au système
mondial moderne. Cependant, cette intégration est considérée pour beaucoup de
chercheurs comme une chance pour ces cultures dites indigènes ou locales. Dans
cette perspective, toute culture n’est pas auto-entière en soi, et aucune
culture ne peut vivre en autarcie. Chaque culture va puiser ses manques dans
d’autres culture, d’où la nécessaire d’interdépendance (Strauss).
Synthèse et conclusion
À bien des égards les industries
culturelles s’imposent comme un vrai phénomène social, entre tous les avantages
ou les craintes qu’elles peuvent inspirées, il n’en demeure pas moins que
celles-ci sont au centre des échanges culturels mondiaux. Nous pouvons même
dire qu’elles se présentent comme un outil régulateur du marché des relations
culturelles mondiales, de rapports entre le Nord et le Sud et même le Sud et le
Sud, entre les cultures dominantes et les cultures dominées.
Par ailleurs, il apparaît évident
que la mondialisation /industrialisation du monde est une dimension centrale
des transformations des marchés de la culture et, par la même occasion des
industries et entreprises qui la véhicule. Ces transformations sont le fruit
d’un long processus d’industrialisation survenu sur les industries culturelles,
affectant dans un premier temps l’échelle mondiale, puis locale. Le monde de la
culture laisse la place à la naissance d’une culture mondiale fabriquée selon
des normes industrialisées et standardisées. Dès lors, dans un monde, où la
notion de culture fait davantage débat, où la production industrielle de la
culture fait figure d’acteur majeur de développement de régulation des
relations culturelles entre les pays et les cultures, les industries
culturelles apparaissent comme un acteur incontournable à l’intérieur de ce
débat, notamment grâce à la dimension, l’importance puis le pouvoir dont elles
disposent. Un pouvoir et une place qui se sont d’autant transformés et accrus
avec le mouvement de globalisation.
Alors que, pour certains
observateur, ces mutations ne font qu’accentuer une forme standardisation de la
culture, principalement motivée par une politique financière capitaliste au
service du gain et du profil, mise en place par des puissances hégémoniques.
Pour ces derniers la concentration et les convergences industrielles seraient
des facteurs de standardisation et d’homogénéisation des productions
culturelles. Des modèles forgés aux États- Unis et en Occident en général
s’imposeraient à l’échelle mondiale et les pouvoirs de marché des grands pôles,
tels Time Warner ou News Corporation, faciliteraient l’exportation des
productions du centre de l’économie-monde de la communication vers des zones
périphériques comme les pays en voie de développement. En outre, les exigences
de rentabilité des acteurs financiers interdiraient la prise de risques
créatifs. L'industrie culturelle tend non pas à l’émancipation ou à la
libération de l’individu, mais au contraire à une uniformisation de ses modes
de vie et à la domination d’une logique économique et d’un pouvoir autoritaire
ficelé selon des normes et valeurs standardisées et industrialisées. C'est en
cela que l'industrie culturelle participe d'une anti-Aufklärung. Le phénomène
ne concerne pas seulement les pays totalitaires, mais également les autres
pays, à commencer par les sociétés libérales. Horkheimer et Adorno décrivent
cette réalité en ayant recours à la notion d’ « industrie culturelle ». Les éléments de cette
culture de masse posséderaient les caractéristiques d’une pure marchandise. Ils
seraient produits en fonction de leur valeur d’échange dans un marché, et non
pour leur valeur d’usage en tant que partie intégrante d’une expérience
esthétique authentique enracinée dans la tradition. Objet de manipulation, ces
biens culturels seraient imposés « d’en haut » par un système
industriel de diffusion dominé par l’éthos capitaliste, le règne du fétichisme
et la logique de la consommation et du profit. Conséquence directe de ce
processus, l’apparition d’une forme d’impérialisme culturel dictée par des
forces hégémoniques qui se manifeste principalement par une influence socioculturelle.
Ces mutations sont pour d’autre un
gage de préservation des différences, et ce pour plusieurs raisons : nécessité
d’alimenter de nouveaux « contenamonts » ; volonté de différencier et de
personnaliser les offres; obligation d’adapter les contenus aux
caractéristiques des nouveaux supports; liens entre les contenus « amateurs» et les contenus
professionnels, notamment permis par le web collaboratif ; cohabitation des
expressions culturelles transnationelles, nationales et locales. Enfin, avec la
télévision numérique l’Internet, le satellite et la numérisation, des produits
culturels peuvent, pour un coût marginal quasi nul, toucher n’importe quelle
personne dans le monde.
Sur ce point, il est indéniable que
les Cultural Studies vont apporter une nouvelle dynamique sur le concept
d’industries culturelles et sa compréhension. On ouvrant les voies vers de
nouveaux débats et paradigmes, ils consacrent ainsi l’entrée des études sur les
industries culturelles dans une nouvelle ère, recentrant le débat autour de la
réception tout en prenant en considération l’environnement et contexte général,
mondial et local des sujets étudiés. Cela va se traduire par la naissance d’une anthropologie de la
globalisation prenant en compte le caractère transnational des ces industries,
sans pour autant délaisser complètement les théories d’économie politique
fondatrices des première débats sur ces industries. Cette nouvelle thématique
s’inscrit dans le nouveau champ de l’ethnographie du public et des médias.
Celui-ci va s’interroger avec insistance sur la capacité des spectateurs à construire
leurs propres significations et donc leurs cultures et leurs identités locales,
et ceci malgré la dépendance pratiquement totale de ces spectateurs vis-à-vis
des flots d’images et autres distribuées par les industries culturelle
transnationales. Donc toute la problématique des Culturel Studies tourne autour
de la question de la portée plus au moins réelle de cette dépendance, de cette
influence, et de la capacité des téléspectateurs à trouver une réponse, un
équilibre ou une concession entre des identités locales et une culture globale,
impulsée ou imposée selon des normes et valeurs standardisées et
industrialisées. Sans pour autant négliger le caractère plus au moins
capitaliste et standardisé des ces industries. Leur concentration aux mains de
quelques multinationales, ayant pour principal but le profit, la dimension
unilatérale des flux médiatiques, peut à bien des égards conduire à une forme
d’impérialisme culturel.
Entre les peurs opposées de
l’uniformité et de la diversité, le village planétaire est devenu
indéchiffrable. Sans doute les hommes, comme les peuples, veulent-ils tout à la
fois se ressembler les uns aux autres et se distinguer les uns des autres. Et
les industries culturelles, plus aujourd’hui qu’hier, leur offrent la possibilité
de céder toujours davantage et simultanément aux deux tentations. Le choix
n’est pas, en vérité, entre le cauchemar de Babel et la guerre des tribus. Ce
que dissimule à nos yeux le dilemme de l’uniformité et de la diversité, c’est
la vertu des échanges, leur invitation à civiliser nos différends et à
respecter nos différences.
Il faut par conséquent veiller à
ce que les effets positifs escomptés du développement des industries
culturelles se reproduisent également au sein des cultures dites dominées,
notamment, dans les régions situées au Sud de la planète. Cela ne sera possible
que par le développement d’une vraie volonté de part et d’autre, d’échanges
bilatéraux équilibrés, de respect et enfin de tolérance. Le raisonnement de l’observatoire
de la mondialisation de Paris, dirigé par Susan George, est intéressant au
chapitre de la lutte contre la forme actuelle de la globalisation. Pour ce
groupe, le discours principal dominant est exclusif, alors qu’il n’y a pas
qu’une seule globalisation possible.
Dans cette perspective, la notion d’interdépendance défendue par A. Mattelart, exprime à la fois l’emprise des logiques de l’ère des empires et la croyance en l’imminence d’une planète où réseaux techniques et réseaux sociaux se conjugueraient pour tisser un espace solidaire. (43) C’est justement dans cet esprit de solidarité, de complémentarité, de tolérance et de compréhension que les relations culturelles puiseront leurs forces et se frayeront un chemin pour un avenir meilleur. Cela amène à croire que l’idée de vivre tout seul à l’écart du monde semble aujourd’hui plus crédule que la pensée d’une supériorité quelconque d’une culture sur une autre. Le défi ne consistera pas à effacer ces différences qui font partie de la personnalité de chaque culture, de ses composantes, de son entité. Mais, bien de collaborer et de faire des choix qui misent sur la convergence, la coopération, le rapprochement et l’échange. Cette aspiration doit être accompagnée par la conviction que chaque culture est en soi donatrice et en même temps réceptrice. Le but étant de bâtir un avenir et des solutions qui résorbent les disparités et les incompréhensions.
Références Bibliographiques.
1) GLAVAREC Hervé, MACÉ Eric et MAIGRET Éric, Cultural Studies, Anthologie, Ed. Armand Colin, France, 2008. p. 280-281. MIÉGE Bernard, « Postface à la 2e édition », dans Huet Armel, Ion Jacques, Lefebvre Alain, Miége Bernard, Peron René (1978) : Capitalisme et industries culturelles, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2e édition revue et augmentée, 1984, pp. 199-214. 3) GLAVAREC Hervé, MACÉ Eric et MAIGRET Éric, Op cit, pp.281.282. 4) WOLTON Dominique, L’autre mondialisation, Edition Flammarion, France, 2003, p.34. 5) BOURDON Jérôme, Introduction aux médias, Les tenson, Paris, 2009, p.41 6) Ibid, p.42. 7) BRETON Philipe et PROULX Serge, L’explosion de la communication, Ed. La Découverte, France, 1996 p.17.
8) ADORNO Theodore W. et HORKHEIMER Max, La dialectique de la Raison, Paris : Edition Gaillmard, 1974, pp. 130-131. 9) Ibid, p.149. 10) Ibid, pp.145-146-155-168-169. 11) BRETON Philipe et PROULX Serge, Op cit, p.171.
12) WARNIER Jean-Pierre, La mondialisation de la culture, La Découverte, France, 2004, pp. 14-15.
13) Ibid, p.16. 14) Comprendre les industries créatives, les statistiques culturelles et les politiques publiques, Global Alliance for Cultural Diversity, UNESCO, p. 2.
15) GLAVAREC Hervé, MACÉ Eric et MAIGRET Éric, p. 268.